Solène Peillard de Gecko : Éveiller les consciences pour préserver la biodiversité de l’océan Indien

La biodiversité de l’océan Indien, reconnue mondialement pour sa richesse et son endémisme, est aujourd’hui menacée par des pressions anthropiques croissantes. Pour répondre à ces défis, l’association des Naturalistes de Mayotte a lancé la revue Gecko, une initiative soutenue par le programme Varuna Biodiversité. Solène Peillard, directrice de publication chez Gecko, nous éclaire sur l’importance de vulgariser la science pour sensibiliser les décideurs et le grand public à la protection de cet écosystème unique. Dans cet entretien, elle partage la mission de Gecko, les défis de la conservation et l’importance de la communication entre science et politique pour un avenir durable dans la région de l’océan Indien.

La Voix de l’Océan Indien : Bonjour Mme Peillard, nous sommes ravis de vous avoir avec nous pour discuter de la contribution de Gecko à la vulgarisation scientifique. Pour commencer, pourriez-vous nous parler de la genèse de la revue Gecko et de l’importance de sa mission ?

Solène Peillard : Gecko est publié par l’association des Naturalistes de Mayotte, suite à un appel à projet initié par le programme Varuna Biodiversité. Ce programme, piloté par l’Agence française de développement et Expertise France, soutient divers projets liés à la biodiversité dans l’océan Indien occidental, une région incluant Madagascar, l’Union des Comores, les Seychelles, Maurice, Mayotte, La Réunion et les TAAF. Reconnue mondialement comme un hotspot de biodiversité, cette zone est caractérisée par une riche biodiversité et un haut niveau d’endémisme, mais elle est également soumise à d’intenses pressions anthropiques. Il est donc crucial de sensibiliser les habitants de la région à la protection de notre environnement. C’est dans cet esprit que Gecko a été créé, avec son premier numéro paru en août dernier. Le magazine, entièrement collaboratif et sans journalistes, travaille avec des scientifiques spécialisés non seulement en environnement mais aussi en études anthropologiques. Il s’adresse aux décideurs et met en avant les recommandations des chercheurs de toute la région de l’océan Indien. Actuellement, nous préparons le deuxième numéro. Notre objectif avec Gecko est de créer des passerelles entre les îles et partager des initiatives réussies à travers la région.

La Voix de l’Océan Indien : Comment définiriez-vous l’audience cible de Gecko? Qui souhaitez-vous atteindre avec vos publications ?

Solène Peillard :  Les décideurs politiques sont notre cible principale, mais nous cherchons également à engager un public plus large non scientifique. Notre mission est de rendre les travaux de recherche accessibles et compréhensibles. À travers des portraits et des interviews, nous présentons la science non seulement comme un domaine rigoureux, mais aussi comme une passion animée par la curiosité. Le premier numéro de Gecko a été distribué dans tous les établissements du second degré pour toucher un public plus jeune.

Gecko a pour objectif principal de créer des liens entre les communautés scientifique et politique. Les chercheurs, par leurs travaux de terrain, observent directement les impacts de l’érosion de la biodiversité et proposent des solutions pour y remédier. Les décideurs politiques, de leur côté, ont le pouvoir de mettre en œuvre ces solutions de manière concrète et opérationnelle. Ainsi, la science et la politique sont intrinsèquement liées : elles sont complémentaires et nécessitent une communication claire et efficace. Gecko sert d’interface entre ces deux mondes, en vulgarisant les recherches et, si nécessaire, en les traduisant en français. Bien que notre cible principale soit les décideurs de l’océan Indien occidental, nous nous efforçons de rendre l’information accessible à tous, permettant ainsi à chaque individu de mieux comprendre et protéger son environnement.

La Voix de l’Océan Indien : La biodiversité de l’océan Indien est exceptionnelle mais aussi très menacée. Comment Gecko contribue-t-il concrètement au développement durable de cette région ?

Solène Peillard : La biodiversité de l’océan Indien est exceptionnelle mais également très menacée. Chez Gecko, nous comprenons que la sensibilisation est essentielle et indissociable de la protection de l’environnement. Avant même de chercher à protéger notre environnement, il faut d’abord le connaître, comprendre son fonctionnement ainsi que les nombreux services qu’il nous rend en termes d’alimentation, de santé, et de ressources. À travers une grande variété de formats et de sujets, nous aspirons à permettre aux habitants de la région de mieux appréhender tous ses aspects, en donnant à chacun, qu’il soit citoyen, élu, bénévole ou entrepreneur, l’opportunité de découvrir un peu plus la richesse de la biodiversité de notre zone, précieuse à l’échelle mondiale. Mais cette richesse est de plus en plus fragile, il devient alors urgent d’agir. Au-delà de valoriser la recherche scientifique, Gecko met en avant des initiatives concrètes et reproductibles à l’échelle de nos territoires insulaires, et donne la parole à des personnalités engagées pour la protection du monde vivant. Notre but est d’encourager l’échange de bonnes pratiques et la mise en réseau de nos îles, géographiquement proches mais souvent isolées quant aux succès environnementaux de leurs voisines. En tant que média d’information, la formation fait partie intégrante de notre mission de sensibilisation; c’est en prenant conscience des dangers et de la destruction en cours que nous pouvons mobiliser un large pouvoir d’action chez les décideurs publics.

La Voix de l’Océan Indien : Quel rôle pensez-vous que la vulgarisation scientifique puisse jouer dans la conservation de la biodiversité ?

Solène Peillard : La science nous permet de comprendre l’évolution de la biodiversité, les interactions qui la régissent et les menaces qui pèsent sur elles, et par extension, sur l’homme. On évoque ponctuellement l’extinction de telle ou telle espèce, la déforestation de telle ou de telle zone, mais par delà ces constats, il aussi intéressant d’étudier les chamboulements profonds qui en découlent. L’environnement, la biodiversité, ne sont pas que des animaux, des plantes ou des paysages. Il faut les appréhender comme un maillage ou une chaîne : si l’on retire ou abîme un maillon, c’est l’ensemble tout entier qui s’en trouvera perturbé. La science met en exergue l’interconnectivité de ces phénomènes, nous alerte quand leur ampleur est significative et nous suggère les actions à mener pour enrayer le déclin de la biodiversité. Malheureusement, les études scientifiques sont très majoritairement publiées en anglais, donc inaccessibles à un public francophone par exemple, et dans un jargon d’initiés. La vulgarisation est alors un outil indispensable pour que chacun à son échelle puisse acquérir la connaissance nécessaire à l’éducation à l’environnement et agisse de manière conscience et éclairée. 

La Voix de l’Océan Indien : Pourriez-vous nous présenter une avancée scientifique récente qui, selon vous, aura un impact significatif sur la région de l’océan Indien dans la prochaine décennie ?

Solène Peillard : Pour avoir un impact significatif et à long terme, une avancée ou une découverte scientifique doit être suivie de décisions, d’action. En 2019, une équipe de chercheurs des universités de York, d’Oxford, d’Edimbourg et de Salford, dirigée par Callum Roberts, a publié une étude démontrant qu’il était indispensable, et surtout réalisable, de protéger 30 % de la surface mondiale des océans d’ici 2030, en créant des aires marines protégées, au bénéfice de la biodiversité marine. Peu de temps après, la communauté internationale a entériné cette mesure lors de la COP15 sur la biodiversité. Cet objectif figure également dans le traité international sur la haute mer, adopté par l’ONU en juin dernier. La recherche semble alors véritablement avoir été prise en compte au point de permettre une avancée majeure et décisive à l’échelle du globe. Mais à condition que les engagements proposés soient tenus.

Par exemple, l’accord de Paris sur le climat visait à limiter le réchauffement climatique en maintenant l’augmentation de la température mondiale bien en dessous de 2 degrés Celsius. Pour cela, les États signataires se sont engagés à mener des efforts plus poussés pour limiter cette augmentation à 1,5°C au-dessus des niveaux pré-industriels, comme recommandé par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui est un organe scientifique. Moins de dix ans après l’adoption de cet accord, l’ONU estime déjà que le seuil des 1,5°C sera franchi d’ici 2035. Concernant le traité sur la haute mer et la feuille de route dite « 30×30 », certains observateurs, dont l’océanographe François Sarano, estiment que les aires marines protégées devraient être accompagnées d’un arrêt total de l’exploitation de leurs ressources naturelles, ce que ces textes ne prévoient pas. Pour permettre de véritables avancées, la science ne peut pas agir seule : elle doit être prise en compte, entendue et écoutée par toutes les strates de la société, par le monde économique et politique, et par les citoyens eux-mêmes.

La Voix de l’Océan Indien : Un dernier mot pour nos lecteurs ?

Solène Peillard :  Qu’ils et elles cultivent leur curiosité en essayant toujours de comprendre le monde qui nous entoure ! On pense souvent que l’être humain a appris à dominer son environnement, alors qu’il n’en est qu’une composante, au même titre que le monde végétal, animal ou minéral. Or, sans eux, l’homme n’existerait pas, ne survivrait pas. Notre existence toute entière repose sur notre environnement et sa biodiversité. C’est seulement en en prenant conscience que nous pouvons agir !


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