Madagascar : Lutte contre la corruption : bilan critique des 20 ans du Bianco

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L’année 2024 marque une étape importante dans la lutte contre la corruption à Madagascar avec le 20e anniversaire de la création du Bureau Indépendant Anti-Corruption (Bianco). Fondé en 2004 pour contrer un fléau endémique minant le développement du pays, le Bianco a initié des mesures ambitieuses. Cependant, deux décennies plus tard, le bilan reste largement mitigé, tant sur le plan national qu’international.

Une volonté affichée mais des résultats en demi-teinte

Depuis son inauguration, le Bianco a concentré ses efforts sur trois axes majeurs : la prévention, la sensibilisation et la répression. Ces missions ont permis d’établir un cadre juridique solide et de renforcer les capacités institutionnelles. Malgré cela, les résultats obtenus peinent à convaincre. Selon un rapport d’évaluation de la stratégie nationale de lutte contre la corruption 2015-2025, « le faible niveau de confiance du public dans une répression effective de la corruption » constitue un frein majeur à l’efficacité des actions entreprises.Les chiffres illustrent cette réalité : seulement 28 % des dossiers traités entre 2015 et 2023 ont conduit à des sanctions judiciaires. Parallèlement, Madagascar continue de figurer parmi les pays les plus corrompus au monde selon l’Indice de Perception de la Corruption de Transparency International, occupant en 2023 la 147e place sur 180.

Le directeur général du Bianco, Gaby Nestor Razakamanantsoa, a présenté récemment le bilan de ses cent premiers jours de mandat. Il a admis que la lutte reste à consolider, mettant en avant des obstacles structurels et institutionnels persistants. Ces déclarations résonnent avec le ressenti des citoyens qui, interrogés, expriment une déception croissante face à l’absence de résultats concrets.

Les « gros bonnets » épargnés dans l’ombre de l’impunité

L’un des points de critique récurrents concerne l’incapacité du Bianco à cibler les « gros bonnets », c’est-à-dire les individus occupant des postes de pouvoir impliqués dans des affaires de corruption. Les observateurs soulignent que la plupart des dossiers traités concernent des infractions mineures ou impliquent des fonctionnaires subalternes. Les grandes affaires, souvent liées à des réseaux influents, stagnent dans les rouages de la justice, à l’image de l’affaire de détournement de fonds publics impliquant des hauts fonctionnaires en 2022, toujours sans dénouement. Cette situation reflète un manque de collaboration entre le Bianco et les autres institutions clés, comme le système judiciaire, souvent paralysé par des pressions politiques. De plus, les enquêtes menées par le Bianco se heurtent à des limites de capacité, avec un effectif et des ressources financières insuffisants pour traiter l’ampleur du problème.

Malgré ces difficultés, des initiatives positives sont à relever. Les campagnes de sensibilisation et de formation ont touché près de 200 000 personnes entre 2018 et 2023. Par ailleurs, l’introduction de la déclaration obligatoire de patrimoine pour les responsables publics constitue une avancée, bien que son application reste encore limitée.

Repenser la lutte contre la corruption 

Pour que le Bianco puisse remplir pleinement son mandat et restaurer la confiance publique, des améliorations substantielles doivent être apportées. Tout d’abord, renforcer son indépendance institutionnelle est essentiel. Cela implique l’octroi de moyens financiers et juridiques accrus pour assurer son fonctionnement sans entraves politiques. Ensuite, il est essentiel d’établir des tribunaux spécialisés pour traiter les dossiers de corruption de manière rapide et impartiale, tout en augmentant la transparence des procédures judiciaires. Par ailleurs, la priorité doit être donnée à la répression des grandes affaires impliquant des personnalités influentes, car cela enverrait un message fort contre l’impunité et renforcerait l’état de droit. Enfin, multiplier les programmes d’éducation civique, notamment dans les écoles et les communautés rurales, est nécessaire pour promouvoir une culture de l’intégrité et sensibiliser les citoyens aux conséquences de la corruption. Ces mesures combinées pourraient élever significativement l’impact de la lutte anti-corruption et redonner espoir à la population.

Fitiavana HARISOA


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