L’Amérique de Trump II secoue l’océan Indien : vers une souveraineté régionale accrue ou un nouvel ordre sous influence ?

Quand l’onde de choc vient de Washington

Depuis la réélection de Donald Trump en janvier 2025, la politique économique et fiscale des États-Unis prend un tournant radical : retrait climatique, démantèlement de l’USAID, guerre commerciale tous azimuts. Si ces décisions peuvent sembler lointaines, leurs répercussions frappent de plein fouet les îles de l’océan Indien. De Madagascar aux Maldives, en passant par Maurice, La Réunion, les Seychelles, les Comores et Mayotte, chaque territoire encaisse la secousse à sa manière. Mais derrière le choc initial, une question s’impose : cette rupture ne pourrait-elle pas aussi servir de tremplin vers une intégration régionale renforcée ?

Pourquoi l’Amérique pèse lourd, même si elle s’éloigne

Les États-Unis ont longtemps été un partenaire économique, sécuritaire et diplomatique important pour la région – parfois à distance, souvent par le biais d’accords globaux comme l’AGOA ou des programmes climatiques. Leur retrait soudain crée un vide. À Madagascar, c’est un séisme commercial : +47 % de droits de douane sur la vanille, le textile, l’arrêt de 54 millions d’aides directes. Aux Comores, c’est l’abandon de financements pour les soins de base. À Maurice, c’est la fin de l’accès privilégié au marché US. Même à La Réunion, pourtant protégée par son statut européen, le ralentissement mondial provoqué par le protectionnisme américain impacte le tourisme et renchérit l’importation.

Qui perd, qui s’adapte ?

Si le choc est réel, les réponses varient. Les Seychelles renforcent leurs alliances bilatérales (Inde, EAU, Chine), les Maldives poussent leur agenda climatique à l’ONU, Maurice gagne diplomatiquement sur le dossier des Chagos, et Madagascar commence à envisager sérieusement une diversification de ses partenaires. Tous partagent une même dynamique : l’obligation de réorienter leur stratégie internationale.

La Commission de l’océan Indien (COI), souvent perçue comme marginale, se voit confier un rôle croissant. Un fonds régional d’urgence a déjà été créé, soutenu par l’Inde et l’UE. Des exercices conjoints de sécurité maritime sont organisés. Des convergences émergent : sur le climat, la sécurité, la santé publique.

Et si l’océan Indien s’unissait ?

Imaginons un instant que la COI devienne ce qu’est l’Union Européenne : une assemblée régionale dotée de leviers politiques, économiques et juridiques. Un Parlement régional, un budget de développement, une stratégie climatique et sécuritaire concertée. Ce qui n’est encore qu’un embryon pourrait devenir un outil majeur de projection. À la différence de l’UE, chaque État ou territoire insulaire a des statuts très différents – mais c’est aussi une force. Maurice pourrait ouvrir les portes du Commonwealth, La Réunion celles de l’UE, Madagascar et les Comores celles de l’Union africaine, tandis que les Seychelles et les Maldives naviguent entre les grandes puissances. Cette diversité d’alliances peut devenir un atout collectif.

Des stratégies pour ne plus subir

  1. Créer un axe stratégique régional permanent – Inspiré du Conseil européen, un sommet semestriel réunissant les chefs d’État et de territoire de la COI pourrait fixer les grandes orientations régionales. Il pourrait, par exemple, coordonner des ripostes commerciales concertées contre des mesures extraterritoriales ou harmoniser les politiques de résilience face aux cyclones.
  2. Mettre en commun les ressources diplomatiques – Pourquoi l’ambassade de Madagascar à l’ONU ne porterait-elle pas une résolution commune sur le financement climatique au nom de l’ensemble des îles de la COI ? Pourquoi ne pas créer une délégation conjointe auprès de l’OMC pour contester les tarifs américains punitifs ? Mutualiser les représentations à Genève, Addis-Abeba, New York, c’est parler d’une seule voix là où chaque île, seule, pèse peu.
  3. Proposer un pacte de souveraineté partagée – Une coalition pourrait mutualiser ses moyens maritimes pour sécuriser ses zones économiques exclusives. Concrètement, cela veut dire qu’un patrouilleur seychellois pourrait intervenir près des côtes comoriennes, ou qu’un satellite français basé à La Réunion fournisse en temps réel des données de surveillance à Maurice ou à Madagascar. Sur le climat, des laboratoires régionaux pourraient harmoniser les alertes précoces.
  4. Attirer des financements structurants – Il ne s’agit plus de mendier de l’aide, mais de concevoir des projets d’envergure. Un plan régional d’adaptation climatique porté par la COI, chiffré, aligné sur les priorités du G20, pourrait séduire la Banque mondiale, la BAD, voire la Chine via la BRI. Pourquoi ne pas proposer un « corridor vert » inter-îles financé par le Japon, un réseau sous-marin de données océanographiques soutenu par l’UE, ou un centre de formation indo-africain basé à Antananarivo ? Le secret : parler ensemble, avec des dossiers solides et un calendrier commun.
  5. Élaborer une diplomatie offensive – Fini la posture du mendiant. L’océan Indien a une carte à jouer : biodiversité unique, jeunesse connectée, position stratégique sur les routes maritimes mondiales. Une diplomatie offensive, c’est par exemple proposer un traité régional sur la taxation des GAFAM en zone bleue, ou initier une coalition « Océan Indien pour la justice climatique » capable de peser à la COP. C’est envoyer à la prochaine AG de l’ONU une délégation conjointe emmenée par une femme malgache, un diplomate seychellois et un député réunionnais pour incarner une vision nouvelle. C’est aussi exiger un siège consultatif à l’Union africaine pour la COI. En somme, faire de la région non plus un objet de politique étrangère, mais un acteur.

Un choc utile ?

L’Amérique de Trump II fait tomber les masques. L’aide conditionnée, la dépendance commerciale, l’illusion d’un multilatéralisme stable. Ce choc, violent, injuste parfois, peut aussi être utile. Il oblige à réagir, à innover, à s’unir. L’océan Indien peut devenir un laboratoire de coopération politique, un archipel de souverainetés partagées. Reste à savoir si les dirigeants sauront saisir cette opportunité. Le moment est venu d’en faire plus qu’une zone tampon : une véritable puissance régionale.

Unis dans la diversité. Solidaires dans la tempête.

Marine Vlody


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