Être créole à Maurice, c’est vivre sans reconnaissance

Un peuple sans visage dans les statistiques officielles

Ils sont bien là, dans les écoles, les rues, les universités, les usines et les ministères. Et pourtant, les créoles de Maurice restent largement invisibilisés dans les politiques publiques. C’est ce que dénonce l’organisation Affirmative Action, qui a récemment soumis un rapport accablant au groupe d’experts de l’ONU en charge de la mise en œuvre de la Déclaration de Durban, un texte phare contre le racisme et la discrimination adopté en 2001. Jérôme, éducateur à Rose-Hill : « Je suis né ici, mes parents aussi. Mais dans les papiers, je ne suis qu’un résidu ».

Une identité niée dans la Constitution

Oui, en 2025, la Constitution mauricienne classe encore les citoyens selon leur origine ethnique. Hindous, musulmans, sino-mauriciens, et enfin les « autres » : la « population générale », catégorie floue qui englobe surtout les créoles. Un vestige colonial gravé dans le marbre juridique, qui légitime encore aujourd’hui une hiérarchie raciale d’un autre âge. C’est dans cette dernière catégorie fourre-tout que sont classés les créoles, dont l’identité culturelle et historique n’est jamais reconnue explicitement. Un héritage direct, selon Affirmative Action, du vieux système colonial de « divide and rule » : diviser pour mieux régner.

Silence d’État malgré les alertes internationales

Ce n’est pas la première fois que la communauté internationale tire la sonnette d’alarme. En 2013 et en 2018, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) a demandé à l’État mauricien de produire des données ethniques pour mieux comprendre les inégalités. Réponse officielle ? Non, au nom de l’unité nationale. Une réponse jugée « rhétorique » par Affirmative Action, qui dénonce un refus d’assumer les réalités sociales et raciales du pays.

Un oubli historique qui fait mal

Le rapport souligne aussi le manque d’intérêt pour la mémoire historique des créoles, descendants d’Africains réduits à l’esclavage. Les programmes scolaires, les manuels d’histoire et même les commémorations officielles passent sous silence les luttes, les révoltes et le rôle de la résistance dans l’histoire de l’île. Pour Affirmative Action, il s’agit d’un mépris organisé qui alimente stéréotypes et marginalisation.

Une année pour briser le silence ?

2025. L’année des réparations. Et toujours aucun mot officiel sur les créoles à Maurice. Jusqu’à quand ? Pour Affirmative Action, c’est l’occasion de remettre la question créole au centre du débat public. D’autant plus que les experts onusiens préparent un rapport mondial sur les suites de la Déclaration de Durban. Leur perspective sur la situation mauricienne pourrait vraiment perturber l’ordre établi.

Hadjani ANDRIANARINIVO

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