
Une épidémie silencieuse
« J’ai quitté l’école pour vendre des samoussas. Mon père a perdu son boulot, on n’avait plus le choix. » Ravo, 15 ans, vit dans la périphérie d’Antananarivo. Cette année, elle n’a pas repris le chemin du collège. Comme elle, des centaines de jeunes abandonnent les bancs de l’école à Madagascar, mais aussi à La Réunion, à Maurice, aux Comores et aux Seychelles. Le décrochage scolaire progresse, moins bruyant qu’un cyclone, mais tout aussi ravageur.
Dans certains établissements malgaches, jusqu’à 5 % des élèves ont déserté les classes cette année. À Antananarivo, un lycée public enregistre 130 abandons en seconde, 46 en première. À cause de la pauvreté, de la faim, du sentiment d’exclusion, ou simplement de la fatigue de se battre.
Quand apprendre rime avec survivre
« Mes parents n’ont pas de revenus fixes. Je suis allé travailler dans un snack pour aider. Je n’en pouvais plus de venir à l’école le ventre vide. » Samuel, 17 ans, Sainte-Marie, La Réunion.
À Maurice, une enquête de terrain révèle que dans certains quartiers défavorisés, près d’un élève sur dix quitte l’école avant la fin du collège. Un directeur de collège à Port-Louis parle d’un « abandon progressif, rarement officiel, mais bien réel ».
Aux Comores, Amina, 14 ans, a laissé tomber la 5ème : « Ma mère est malade. Je dois m’occuper de mes petits frères. L’école, c’est devenu un luxe. »
L’école trop dure, ou trop loin
Dans les lycées publics de Madagascar, beaucoup fuient certaines filières jugées trop complexes. Des élèves préfèrent se présenter au bac comme candidats libres ou s’inscrivent dans des établissements privés. « Je ne comprenais rien en série scientifique. On ne nous aide pas à suivre », confie Mamy, 18 ans, de Mahajanga.
Même constat aux Seychelles, où une jeune enseignante confie : « On perd des élèves en cours d’année. Ils n’échouent pas par manque d’intelligence, mais parce que l’école ne s’adapte pas à eux. »
Grossesse précoce – le tabou qui éloigne des classes
« Ce n’était pas prévu. On n’imaginait pas avoir un bébé à 16 ans… » Nirina, en 4ème , a quitté son collège d’Ambohidratrimo dès qu’elle a appris sa grossesse. Dans toute la région, les jeunes filles font face à un double abandon : celui de l’école et parfois, de leur entourage. À Maurice comme à Madagascar, certaines essaient de continuer en candidat libre, mais la majorité quitte le système pour de bon.
Des solutions ? Oui, mais à condition d’écouter
Le rapport MICS-EAGLE, publié en 2022, l’a bien résumé : les élèves abandonnent souvent parce qu’ils échouent, et échouent parce qu’ils ne sont pas suivis. Le document recommande des évaluations plus régulières, des soutiens individualisés et surtout des politiques de protection de l’enfance.
Mais au-delà des rapports, ce sont les histoires comme celles de Ravo, Samuel ou Nirina qui nous rappellent l’urgence : Comment demander à un enfant de rêver à demain s’il doit déjà se battre pour manger aujourd’hui ?
Une génération au bord du gouffre
Dans nos îles, le décrochage n’est pas un échec individuel. C’est l’échec d’un système qui ne protège pas ses enfants. Il est temps d’arrêter de considérer ces jeunes comme « perdus ». Ils sont là, en attente d’écoute, de soutien, de solutions concrètes. Une école plus souple, plus proche, plus humaine. Pas seulement pour les retenir, mais pour qu’ils aient enfin une place. La leur.


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