
« Quand la mer change, c’est toute notre vie qui tangue.» À Mahé, Moroni ou Mahajanga, ce sont les mêmes mots qu’on entend sur les quais. Pêcheur depuis 30 ans, Houssein, des Comores, ne reconnaît plus son lagon : « Les poissons ont changé de saison, certains ne viennent plus. » La mer se réchauffe, s’acidifie, se dérègle. Et ce sont les petits pêcheurs des îles qui encaissent les premières vagues de choc.
Face à cette urgence, une réponse collective se met en place. Ce 28 au 30 avril, à Balaclava (Maurice), une trentaine de scientifiques venus des Comores, du Kenya, de Madagascar, des Seychelles, de la Tanzanie et de Maurice ont été formés à l’utilisation de nouveaux capteurs marins. Grâce à ces équipements financés par l’Union européenne, ils pourront désormais mesurer des données clés ; température, salinité, taux d’oxygène ; pour comprendre comment l’océan change.
Une mer qui parle, enfin.
Ces capteurs, immergés durant plusieurs semaines, donneront une voix à la mer. Pour Dainise Quatre, chercheuse seychelloise, cette initiative est bien plus qu’un atelier technique : « C’est un outil de survie. Nous devons savoir ce qui se passe sous l’eau pour protéger ceux qui en vivent. »
Les données seront analysées par le Mauritius Oceanography Institute (MOI) et alimenteront un Observatoire climatique régional lancé en 2024. L’idée est d’offrir aux pays de la région une base commune de connaissances pour adapter leurs politiques de pêche artisanale. Un projet porté par le programme ECOFISH et coordonné par la Commission de l’océan Indien.
Du capteur au marché – une chaîne de résilience
Car derrière les chiffres, il y a des vies. Marc Maminiaina, de la COI, le rappelle : « La mer nourrit des millions de personnes ici. Si les espèces migrent ou disparaissent, c’est la sécurité alimentaire qui vacille. » D’ici 2050, les prises pourraient baisser de 5 %, selon la FAO. Cela est une goutte d’eau pour les décideurs mais un réel gouffre pour ceux qui vendent leur pêche au bord de la route.
L’observatoire ne fera pas revenir les poissons disparus. Mais il permettra d’anticiper, d’alerter, de réagir. Pour Delphine Goguet, de la Délégation de l’UE, c’est un modèle de coopération régionale « pour des décisions fondées sur la science, et non sur l’aveuglement ».
Un avenir à protéger – île par île
Le bassin occidental de l’océan Indien est l’un des plus touchés au monde par le réchauffement. Les pertes pour l’Afrique pourraient atteindre 440 milliards de dollars d’ici 2030. Mais au-delà des chiffres, ce sont des visages qu’il faut regarder : ceux des femmes qui vident les poissons à l’aube, des jeunes qui n’ont plus envie de prendre la mer, des anciens qui sentent que tout bascule.
Aujourd’hui, grâce à l’intelligence collective, les îles s’équipent. Demain, il faudra du courage politique. Mais surtout, ne pas oublier pour qui l’on fait tout cela : les gens d’ici.


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