La Réunion : Rhum – et si c’était tout un modèle agricole qu’il fallait réécrire ?

Cette année, les cuves tourneront à moitié vide, faute de mélasse. Et ce n’est pas qu’une histoire de rhum. C’est toute une île qu’on met sous pression.

Une récolte en chute libre, des bouteilles à moitié pleines

La Réunion va produire deux fois moins de rhum en 2025. En cause : une récolte de canne catastrophique. La mélasse, résidu sucré issu de la transformation de la canne est au plus bas. Résultat : seuls 55 000 hectolitres d’alcool pur devraient sortir des distilleries cette année, contre les 120 000 nécessaires. Et encore, en serrant les dents.

À court de carburant, la filière ne pourra pas honorer la moitié de ses marchés à l’export. Un coup dur pour un secteur qui pèse 21 millions d’euros et qui fait vivre plus de 1 300 personnes directement ou indirectement. Et pour les 100 000 visiteurs qui poussent la porte d’une distillerie chaque année, c’est un patrimoine en sursis.

Tereos, l’industriel qui tient les clés du sucre… et du rhum

Mais derrière la sécheresse et les aléas du climat, un autre acteur cristallise les tensions : Tereos, le géant agro-industriel qui possède les deux seules usines sucrières de l’île. Depuis la fin des quotas européens en 2017, c’est lui qui fixe les règles. C’est aussi lui le seul acheteur de cannes.

« Quand un seul décide, les autres subissent » dénonce un planteur de l’Est. Depuis des années, la stratégie de Tereos vise à réduire les coûts. Pour conséquences, des prix d’achat est en berne, des plantations qui ferment, des surfaces en baisse. Et quand la canne s’effondre, c’est tout le reste qui suit : sucre, bagasse, mélasse et donc rhum.

Changer de recette, ou laisser couler ?

Alors, que faire ? Importer de la mélasse ? Trop cher. Miser sur le rhum agricole, à base de jus de canne ? Possible, mais coûteux et limité. Pour Teddy Boyer, il faut diversifier, rééquilibrer et surtout réfléchir ensemble. Pas chacun de son côté. Car le problème n’est pas que technique. Il est politique, social, territorial. Et la question dépasse la seule canne : qui décide de ce que l’on plante ? Pour qui ? À quel prix ? Avec quelles retombées locales ?

Un rendez-vous décisif en juin

Les États généraux de la canne, annoncés pour juin, seront bien plus qu’une réunion de filière. Ce sera un moment de vérité. « On ne sauvera pas le rhum sans parler du reste », affirme Émilie Marty, du syndicat agricole. Le sucre bio, la valorisation locale, l’ouverture à d’autres débouchés… tout est sur la table.

Et cette fois, il ne s’agit pas de défendre un produit, mais une manière de vivre. Une économie qui reste debout. Une île qui ne tourne pas à vide. Et des voix, comme celles des planteurs ou des distillateurs, qu’on n’a plus le droit d’ignorer.

Hadjani ANDRIANARINIVO

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