La Réunion : « Le vaccin est là, mais nous, on n’y est plus » – le chikungunya revient, la confiance vacille

Il aura fallu presque vingt ans à la science pour sortir un vaccin contre le chikungunya. Vingt ans depuis cette terrible épidémie de 2005-2006 qui avait frappé La Réunion de plein fouet, infecté près de 240 000 personnes, endeuillé plus de 260 familles, et laissé des milliers de corps cassés par des douleurs chroniques.

Aujourd’hui, en 2025, le vaccin est là. Son nom : IXCHIQ. Il a été autorisé par l’Europe en juin dernier. Fabriqué à partir de la souche même qui a circulé sur l’île en 2005, il promet une immunité robuste, comme les vaccins contre la rougeole ou la rubéole. Mais à peine 5 000 Réunionnais ont accepté de se faire piquer. Et dans les centres de vaccination, les files d’attente se sont vite évaporées. Un décès, des doutes

Début mai, un décès rare mais réel est signalé. L’ARS confirme un lien avec le vaccin. Ce drame, aussitôt relayé sur les réseaux sociaux, met un coup de frein brutal à la campagne vaccinale. Les commentaires explosent, la méfiance gagne. Pour le professeur Xavier Deparis, directeur à l’ARS Réunion :

« C’est une tragédie, oui. Mais des milliers d’autres vies pourraient être sauvées si le vaccin était utilisé à grande échelle. Il faut regarder les faits, pas les peurs. »

Une campagne qui arrive trop tard ?

Le vrai problème, selon certains médecins, c’est le timing. Le vaccin est arrivé en avril… alors que le pic de l’épidémie était déjà derrière nous. Résultat : trop peu, trop tard. Et une population lasse, échaudée par les polémiques post-Covid, désorientée par les messages sanitaires changeants. Dans les rues de Saint-Denis ou de Saint-Louis, le sentiment est partagé. Annie, 43 ans, souffre encore de douleurs articulaires liées au chikungunya contracté en 2006 : « J’aurais voulu ce vaccin il y a dix ans. Maintenant, je sais même plus à qui faire confiance. »

Un vaccin né ici… mais boudé ici

C’est peut-être la plus grande ironie de cette histoire. Le chikungunya a marqué au fer rouge La Réunion. Il a mobilisé des chercheurs du monde entier, inspiré des laboratoires à développer des solutions à partir de notre histoire. Et aujourd’hui, ce vaccin fabriqué est administré ailleurs.

Alors que le monde médical salue un « progrès majeur », à La Réunion, le doute l’emporte. L’ARS parle de désinformation, de méfiance virale, et appelle à « redonner confiance, avec transparence et humilité ».

Reprendre la parole, ici

La question dépasse la seule médecine. Elle touche à la mémoire, au rapport à l’autorité, à la peur aussi, bien humaine, de l’inconnu. Ce vaccin, né d’une blessure réunionnaise, mérite sans doute mieux que le silence ou la défiance. Mais ce n’est pas à Paris, ni à Bruxelles, de dire comment on soigne nos plaies ici.

Hadjani ANDRIANARINIVO

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