
Derrière chaque relation toxique, il y a un système. Et si le problème n’était pas seulement “lui” ou “elle”… mais ce que nous avons appris à admirer ? Le narcissique n’est pas une anomalie. Il est parfaitement adapté à notre temps.
Dans un monde où l’attention est la nouvelle monnaie, où l’image prévaut sur la vérité, le narcissique n’est pas une erreur de parcours. Il est le produit fini d’un modèle économique. Confondant confiance et froideur, charisme et domination, il brille parce qu’on l’a appris à briller. Pas pour aimer, mais pour se faire valider.
Les études le confirment : depuis les années 1980, les traits narcissiques sont en hausse constante chez les jeunes générations (Twenge & Campbell, 2019). En cause ?
– L’essor du néolibéralisme,
– L’hyper-compétition individuelle,
– Et la marchandisation constante de soi.
L’intime comme scène de domination douce
Le narcissique ne veut pas être aimé. Il veut être adoré. Et pour cela, il construit un récit — dont vous serez le personnage secondaire. C’est là qu’intervient le gaslighting, cette manipulation émotionnelle où il vous pousse à douter de vous-même : “Tu te fais des films.” ; “Tu déformes tout.” ; “Tu vois le mal partout.”
Vous commencez à faire des captures d’écran pour vous prouver que vous n’êtes pas fou. Vous relisez vos propres messages. Et pendant ce temps, il écrit l’histoire. À sa manière. Ce n’est pas l’amour qui vous retient. C’est la honte.
Shame is sticky.
C’est elle qui vous empêche de partir. Parce que vous vous croyez trop intelligent·e pour vous être fait avoir. Parce que vous ne comprenez pas comment vous avez pu laisser faire. Mais ce que vous avez vécu, ce n’est pas un échec personnel. C’est un scénario rodé. Un rituel de séduction-exaltation-dévalorisation-disparition. Et ça marche particulièrement bien sur les gens sensibles, brillants, engagés. Parce qu’ils/elles pensent pouvoir “sauver”. Parce qu’ils/elles pensent que comprendre, c’est guérir. Mais là, comprendre, c’est souvent se condamner.
Pourquoi ce profil a-t-il tant de succès ? Parce que nous vivons dans une société en crise d’amour-propre collectif.
– Une société où l’on confond “avoir de la valeur” et “avoir de l’audience”.
– Une société où les applis notent vos visages, vos CV, vos corps.
– Une société où les hommes sont socialisés à ne pas pleurer et les femmes à ne pas déranger.
Le narcissique s’en sort mieux non pas malgré cela, mais grâce à cela. Il est fluide, désaffecté, cool. Il est ce qu’on attend d’un être humain fonctionnel dans un monde dysfonctionnel. Ce n’est pas seulement un problème de couple. C’est un problème de culture. Les narcissiques gagnent parce qu’on les applaudit.
– Dans les entreprises, on les promeut.
– Sur les réseaux, on les envie.
– En amour, on les trouve “irrésistibles”… jusqu’à ce qu’il soit trop tard.
La vérité ? On ne les reconnaît pas parce qu’ils correspondent à ce que la société récompense : la performance, l’indépendance, le contrôle, l’image. L’ennemi, ce n’est pas “lui”. C’est ce qu’il symbolise. Le narcissique est le visage souriant de la violence symbolique. Il ne frappe pas. Il efface. Il ne crie pas. Il doute à votre place. Il ne fuit pas. Il reste assez pour que vous vous accrochiez. Et il se multiplie, tant que le monde reste façonné pour qu’il gagne.
Et maintenant ?
La solution n’est pas de mieux aimer les autres. C’est d’arrêter de vous désaimer pour rester. Ce n’est pas “retrouver confiance en vous”. C’est débrancher le système qui vous pousse à croire que vous devez mériter l’amour.
Ce que cela demande :
– Des amitiés qui vous croient avant de vous corriger.
– Une hygiène digitale : unfollow les egos déguisés en inspiration.
– Une reconstruction lente, mais réelle : écrire, marcher, couper, guérir.
Et surtout, une insoumission intérieure : Vous n’êtes pas venu·e ici pour être une vitrine
Les narcissiques ne s’auto-engendrent pas. Nous les élisons. Nous les nourrissons. Tant que l’apparence primera sur l’écoute, tant que l’ascension primera sur la tendresse, tant que l’on confondra brillance et profondeur — ils régneront.
Mais le jour où vous cessez d’applaudir… Le rideau tombe.


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