
Quand la modernisation agricole sème la dépendance
« On nous parle de progrès, mais on ne nous dit pas à qui il profite vraiment. » Pour Ernest, cultivateur de 48 ans dans le Vakinankaratra, la nouvelle n’est pas une bonne nouvelle. Le gouvernement malgache vient de signer un accord à Tel-Aviv avec LR Group, une société israélienne, pour créer une agropole ultra-moderne sur 10 000 hectares. Objectif : produire plus de riz, plus de maïs, plus vite.
Officiellement, le projet est ambitieux : 90 millions de dollars d’investissements, des semences hybrides à haut rendement, de l’intelligence artificielle, des emplois et formations pour 10 000 paysans. Mais sur le terrain, ce sont surtout les souvenirs de Daewoo qui refont surface. Ce contrat abandonné, qui avait prévu de céder 1,5 million d’hectares à une entreprise sud-coréenne, avait déclenché la colère populaire. Aujourd’hui encore, la terre reste une ligne rouge.
Des paysans propriétaires, mais sous contrat
Le gouvernement assure que les terres resteront aux paysans. En réalité, les producteurs devront se plier à un système verrouillé : semences, engrais, méthodes et machines seront fournis par l’entreprise et remboursés après la récolte. Impossible de replanter les graines l’année suivante : ce sont des hybrides importés qu’il faut racheter à chaque saison.
« C’est une dépendance programmée », alerte le collectif TANY, qui lutte contre l’accaparement des terres. Selon eux, les paysans n’auront plus le droit de vendre à qui ils veulent, ni de produire comme ils veulent. Ils deviendront des exécutants, endettés et captifs.
Un précédent inquiétant
Le modèle existe déjà : au Maroc, un projet similaire aurait mené à la ruine de nombreux exploitants. « Au début, on parle d’opportunité. Au bout de quelques années, ce sont des dettes, et parfois des terres qu’on finit par vendre », explique une militante du collectif. Le risque : une fausse modernisation, où la souveraineté alimentaire passe par la case exportation mais sans souveraineté paysanne.
Moderniser sans exclure ?
À Madagascar, plus de 70 % de la population vit de l’agriculture. Le défi est clair : produire plus, mieux, en respectant les sols, l’eau, et surtout les gens. « On ne peut pas parler de développement si ceux qui cultivent la terre n’ont plus leur mot à dire », tranche Ernest. Il ne s’oppose pas au changement. Mais il veut un modèle où le paysan reste libre, formé, soutenu, pas piloté à distance depuis Tel-Aviv.


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