« Nou lé pa plis, nou lé pa moin » — Ces jeunes Réunionnais qu’on pousse à partir

À La Réunion, on grandit entre flamboyants et carry, entre montagne et mer. Après des décennies de formation et de mobilité, les Réunionnais·es cultivent l’ambition et des rêves plein la tête. Mais un jour, une vérité brutale nous rattrape : ici, l’avenir semble barré. Pas de guerre. Pas de misère. Non. Mais un vide. Silencieux. Organisé. Un vide qui décourage.

« Travaille bien à l’école, et tu auras un bon métier »… Vraiment ?

Ils ont suivi les règles : diplômes, stages, parfois un master en poche. Et à la sortie ? Rien : pas de poste, pas de réponse, pas de place. « J’ai envoyé 70 CV. Rien. C’est comme si on n’existait pas », confie Maëva, 24 ans, diplômée en gestion. Elle n’est pas seule : seuls 29 % des Réunionnais de 15 à 29 ans ont un emploi, contre près de 50 % dans l’Hexagone. Le taux de chômage chez les jeunes a frôlé les 32 % en 2022, soit 2,5 fois plus que la moyenne nationale. Le niveau de diplôme progresse : en 2019, 21 % des moins de 30 ans détiennent un diplôme supérieur – ils n’étaient que 17 % en 2011. Mais ce surcroît d’éducation n’offre pas plus de débouchés : seule une minorité accède à l’autonomie.

Partir pour exister, ou rester pour s’effacer ?

Chaque année, des milliers s’envolent. Environ 2 200 étudiants diplômés quittent l’île rien que pour les études. Par choix ? Non : par nécessité. Il faut partir pour exister, pour trouver un logement, un travail, un réseau. À l’arrivée, ceux qui réussissent ne rentrent pas toujours : Métropole, Canada, Australie… Pourquoi faut-il s’éloigner pour revenir avec un peu de dignité ? « Le poste était pour moi. Ils ont pris un zorey. Encore. » dit Jonathan, technicien informatique sans emploi depuis 14 mois.

Un toit ? Oui. Mais à quel prix.

Ils rêvent d’une vie ici : s’installer, fonder une famille. Mais le logement est hors de portée. Pour louer, les annonces réclament souvent 3 fois le revenu mensuel — un plafond inaccessible pour la majorité. Les jeunes Réunionnais deviennent des étrangers sur leur propre île, relégués par un système qui favorise ceux venus avec garanties, réseaux et une autre couleur de peau.

Ceux qui reviennent… et se heurtent

Les retours sont rares. Quand ils osent, ceux qui rentrent avec une expérience extérieure se heurtent au silence ou à la suspicion : « On m’a dit que j’étais trop formée. Que j’allais pas rester », confie Liora, 29 ans, diplômée en urbanisme. Revenir demande du courage. Rester, c’est presque de la révolte.

Une île belle… mais verrouillée.

Dans d’autres territoires, on investit dans les jeunes. Ici, on semble compter sur des cadres métropolitains, des décisions prises à Paris, un développement importé. Ce n’est pas qu’on ne veut pas bosser. C’est que le système est bâti pour qu’on ne trouve pas notre place. En 2019, seuls 4 jeunes Réunionnais sur 10 de 29 ans étaient autonomes – contre 7 sur 10 dans l’Hexagone. À diplôme égal, l’accès à l’emploi prend plus de temps, le logement plus difficile à décrocher.

Ce n’est pas une fuite des cerveaux. C’est un exil du cœur. À chaque départ, on perd une infirmière, un développeur, un prof de créole, un agriculteur en devenir. Ce sont des compétences, mais surtout des liens, de l’amour pour l’île qui partent.

Rester, c’est aimer son île. Mais aimer ne suffit pas quand les portes sont closes.

Nou lé pa plis, nou lé pa moin. Nou lé kapab.

Il est temps de remettre les jeunes au cœur de leur avenir. De leur offrir une île qui les respecte, les forme, les emploie, les élève.

Parce quun jour, peut-être, on arrêtera de leur demander de sexiler pour réussir.

Et ce jour-là, l’île grandira avec ses enfants.

— Hadjani ANDRIANARINIVO

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