
« On ne veut pas couper la canne, mais on coupe nos chances »
“On m’a dit : coupeur ? C’est pour les gens qui n’ont pas réussi.” Jason, 24 ans, n’a jamais mis les pieds dans un champ. Pourtant, avec son BTS en poche et sans emploi depuis deux ans, il pourrait gagner jusqu’à 2 000 euros par mois en saison. Mais dans son quartier, choisir la coupe, c’est perdre la face.
C’est là que le bât blesse. Avant même de parler de travailleurs étrangers, de RSA ou de machines, la canne souffre d’un mal plus profond : le mépris social.
Un boulot dur, un boulot vide de reconnaissance
Ce sont des emplois vacants depuis des années, des champs laissés en friche, des tonnes de cannes non récoltées faute de bras. Et pourtant, plus de 130 000 personnes cherchent du travail sur l’île. Pourquoi ce grand écart ? Parce que couper la canne, c’est encore vu comme un métier du passé, sale, pénible, réservé aux « anciens » ou aux « désespérés ». Une injustice que dénonce Jean-François Sababady, champion de coupe et planteur militant : « Ce n’est pas que les jeunes ne veulent pas bosser, c’est qu’ils ne veulent pas être rabaissés. »
Une jeunesse coupée du réel
Dans les discours, on entend : “Les jeunes ne veulent plus travailler.” En vérité, les jeunes n’ont jamais été vraiment invités à découvrir ces métiers. Aucune formation obligatoire, peu de stages sur le terrain, zéro valorisation. « Tu passes ton bac, mais on ne te dit jamais qu’un coupeur peut gagner plus qu’un poste au SMIC », s’agace Inès, en recherche d’emploi à Saint-Louis.
Faut-il faire venir des travailleurs étrangers ?
C’est la question qui divise. Elle secoue. Elle choque. Mais elle s’impose. Comme en métropole ou au Royaume-Uni, certains exploitants demandent l’autorisation d’embaucher des saisonniers étrangers pour éviter les pertes. Une réalité discrète, mais déjà présente.
Pour Daniel Moreau, président de l’ARIFEL, cette solution est dangereuse en expliquant que faire venir des étrangers sans avoir tenté tout le reste, c’est comme abandonner notre jeunesse.
Redonner envie de retrousser ses manches
La vraie solution, elle ne vient ni d’Europe, ni d’Asie : elle est ici, dans les quartiers, les familles, les écoles. Former. Valoriser. Expliquer. Redonner fierté à ceux qui nourrissent l’île. C’est tout l’enjeu des États Généraux de la Canne, qui s’ouvrent ce 20 juin à Stella Matutina.
Parce que tant qu’on aura honte de couper la canne, c’est notre avenir qu’on laisse pourrir dans les champs.


Laisser un commentaire